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mercredi 22 juin 2011

Liban: La torture et la violence font partie intégrante de la culture


Engagée depuis 2007 dans la prévention contre la torture au Liban et dans l’observation de cas de torture, l’Association libanaise pour l’éducation et la formation (ALEF) publie, aujourd’hui, deux rapports sur le dossier, réalisés grâce au financement de l’ambassade des Pays-Bas. « L’Orient-Le Jour » en présente les points essentiels en exclusivité.

En novembre 2010, un jeune homme convoqué à un interrogatoire a été arrêté sans mandat. La police recherchait son frère. Ne l’ayant pas trouvé, c’est lui qu’elle a arrêté. Retenu au poste de gendarmerie de Hobeiche, à la section antidrogue, il a été battu à coups de poing et avec de gros câbles électriques. L’objectif était qu’il confesse qu’il était trafiquant de drogue. Ses bourreaux lui ont cassé le nez. Il a été soumis à un test de dépistage de drogue, qui s’est avéré négatif. Les policiers ont fouillé son téléphone où ils ont trouvé des messages envoyés à son ami. Ils l’ont alors accusé d’homosexualité (la loi libanaise criminalisant l’homosexualité). Ils l’ont transféré au bureau de répression morale et soumis à un examen anal. Le médecin a conclu qu’il n’y a pas eu de pénétration. La police l’a alors accusé d’être un partenaire « actif ». Il a alors signé, sous la contrainte, un rapport de police où il reconnaissait son homosexualité. Il n’a pourtant pas admis être gay. Menacé ouvertement de conséquences s’il racontait les coups reçus, il a été relâché sans charges, après deux nuits à Hobeiche. Une codétenue lui a raconté avoir entendu la police dire qu’elle voulait le garder une nuit supplémentaire jusqu’à ce que son visage, tuméfié, désenfle.Les groupes vulnérables, premières victimes


Ce témoignage parmi tant d’autres, publié par ALEF et recueilli par l’association Helem, montre les traitements dégradants et les formes de torture réservés au Liban, dans les centres de détention ou en public, aux groupes les plus vulnérables. Par groupes vulnérables, ALEF cite les réfugiés, les travailleurs migrants, les contrebandiers, les toxicomanes, les étrangers sans papiers, les homosexuels et certains journalistes.
Souffrant de pauvreté, de marginalisation ou de discrimination, ils n’ont pas la possibilité de se défendre et de réclamer leurs droits. L’association précise aussi que les militants islamistes et les individus soupçonnés de collaboration avec Israël sont également passibles de torture car ils représentent une « menace pour la sécurité de la nation ».




Les principaux développements concernant la pratique de la torture au Liban entre 2008 et 2010 font l’objet d’un premier rapport. En décembre 2008, le Liban a ratifié le protocole optionnel des Nations unies contre la torture (Opcat), dont il avait ratifié la convention internationale (CAT) en 2000. Ce protocole autorise les visites régulières, par un comité international (SPT), des postes de police, centres de détention et prisons du pays. Il engage aussi les autorités à créer une commission locale indépendante jouant un rôle de surveillance. « Commission qui n’a toujours pas été créée » et dont les modalités de création suscitent une « controverse », observe ALEF dans ce rapport. De plus, le Liban n’a pas encore mis en place des lois locales criminalisant la torture, ni même définissant cette dernière.


Par ailleurs, « les autorités judiciaires n’ont, jusque-là, mené aucune enquête concernant les allégations de pratiques de torture à grande échelle contre les réfugiés palestiniens et les membres du groupuscule du Fateh al-Islam, durant le conflit de Nahr el-Bared, en 2007 », indique ALEF.

De même, « les lois domestiques ne protègent toujours pas les réfugiés ni la main-d’œuvre migrante », à l’heure où Liban n’a pas ratifié les conventions internationales les concernant. Maher Succar, un réfugié palestinien, en a fait les frais. Arrêté en 2009 par les FSI, transféré au ministère de la Défense à Yarzé, sauvagement torturé et isolé, privé de contact avec sa famille et son avocat, il a signé des aveux sous la contrainte. Aveux qu’il n’a jamais eu l’autorisation de lire. Suite à ces aveux, extirpés sous la torture, selon ALEF, il a été accusé notamment « de former un gang armé dans l’objectif de commettre des crimes » et de « saper l’autorité de l’État ».

Conditions de détention révoltantes
Aujourd’hui, l’adoption par les Forces de sécurité intérieure (FSI) d’un nouveau code de conduite à l’égard des détenus semble être à l’ordre du jour, indique le rapport. Mais « aucun mécanisme d’application n’a été annoncé à ce sujet ».
Quant aux conditions au sein des prisons et des centres de détention, elles demeurent révoltantes, malgré les pressions de la société civile et des intervenants internationaux, œuvrant de pair avec les autorités locales. Le rapport d’ALEF observe que le transfert de la gestion des prisons du ministère de l’Intérieur au ministère de la Justice n’a toujours pas été appliqué. Il constate que le manque d’effectifs des FSI facilite l’émergence d’une catégorie de prisonniers baptisés « chaouiche », recrutés par les FSI pour certaines tâches. Une pratique qui accorde des privilèges à certains prisonniers au détriment d’autres. Au niveau de l’interrogatoire des détenus, ALEF constate aussi l’inexistence de dossiers officiels relatifs à ces derniers, mentionnant les conditions dans lesquelles a été mené chaque interrogatoire ou les noms des officiers qui ont entendu les détenus. « Des informations précieuses en cas de torture ou de maltraitance », note l’association.
La prison du ministère de la Défense, à Yarzé, est aussi montrée du doigt pour avoir été, en 2007, témoin de plusieurs cas de torture de prisonniers de Fateh al-Islam. Malgré les recommandations de la société civile, « aucune mesure n’a été prise pour améliorer la prison de Yarzé, dans le respect des lois locales et des standards internationaux », note le rapport. Également sur la sellette, le centre de rétention de la Sûreté générale, sous le pont Élias Hraoui à Beyrouth. Située sous terre, cette prison manque de lumière et d’aération. Elle abrite des étrangers, principalement des réfugiés et des travailleurs migrants, vivant en grande promiscuité. Ne reconnaissant pas le statut de réfugié, les autorités « pratiquent la politique de la détention arbitraire pour pousser ces derniers à accepter leur refoulement vers leur pays d’origine ». Et ce malgré le protocole d’accord signé entre la Sûreté générale et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Signataire de la CAT, « le Liban est pourtant tenu par le principe du non-refoulement et ne peut extrader de réfugiés vers des pays où ils risquent la torture ».


Le rapport d’ALEF met en exergue, par ailleurs, le manque de formation des officiers des FSI sur les techniques d’interrogatoire et l’absence de ressources humaines et financières, comme causes significatives de la multiplication des cas de torture. « Le recours à la torture reste considéré comme le moyen principal pour soutirer des informations ».
ALEF ne manque pas non plus de dénoncer le manque d’indépendance des médecins légistes, dont l’intervention ponctuelle est liée au bon vouloir des officiers du centre de détention. Un médecin légiste qui a constaté un cas de torture « risque fort de ne plus être sollicité », et donc de ne plus toucher d’honoraires, observe le rapport.

Le règne de l’impunité
C’est sur la question de la violence dans la société libanaise et de son impact sur la torture au Liban que se penche l’autre rapport d’ALEF. Un document qui constate la prévalence de la violence, comme valeur sacrée, dans tous les aspects de la vie au Liban, qui relève aussi l’acceptation, par les Libanais, de la pratique de la violence dans leur vie quotidienne, et qui enfin observe que le recours à la torture est comme un instrument de pouvoir et une arme politique.


Dans ce contexte politique instable sur le plan sécuritaire, empreint de discours violents, de haine communautaire et de prolifération d’armes parmi les populations civiles, « l’application des lois demeure faible » et « les abus commis par les représentants des autorités restent impunis ». Ce qui encourage la pratique de la torture au Liban par les autorités, mais aussi son usage et sa justification « par différentes factions politiques et sociales » qui se permettent « d’infliger des sanctions sans avoir recours aux processus légaux », indique ALEF.
Le rapport ne manque pas de mettre l’accent sur l’importance des manifestations sociales de violence au Liban, comme la violence familiale, la sanction corporelle, les violations des droits de la main-d’œuvre migrante, la violence économique, la violence interpersonnelle, mais aussi la violence culturelle. « La situation politique actuelle exacerbe la violence sociétale », dit le rapport. Les populations, n’ayant pas confiance dans la justice étatique, se font souvent justice elles-mêmes. Le crime de Ketermaya en est l’exemple le plus abject.

Dans ce cadre, comment la violence dans la société libanaise peut-elle être liée à l’acceptation de la torture ? L’étude d’ALEF indique que dans certaines conditions, « la torture devient un instrument d’État et de forces politiques ». Elle précise, à ce propos, que « l’affiliation politique de certaines organismes sécuritaires fournit une couverture officielle à certaines pratiques contre des groupes, ce qui fait de la torture un outil politique ». « Que des abus ou des actes de torture bien spécifiques aient ou non été ordonnés, les indications montrent qu’ils étaient attendus et encouragés par des officiers supérieurs, affirme le rapport. Les officiers supérieurs et la hiérarchie doivent alors rendre des comptes pour n’avoir pas exercé la surveillance nécessaire. »
Un tableau malheureusement bien sombre, en totale adéquation avec le climat politique et sécuritaire ambiant.

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