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samedi 12 mars 2011

Syrie: il ne manque qu'une étincelle

L'express

 

Sous un ciel de plomb, Khalil al Mekdad creuse des tombes sur le plateau de l'Haouran, travaillant jusqu'à 12 heures par jour pour nourrir ses huit enfants.

"J'ai du mal à gagner assez pour acheter du pain. Je n'arrête pas de m'endetter", se lamente-t-il en donnant un coup de pelle dans le sol volcanique de cette région, grenier à blé du Moyen-Orient du temps de l'empire Ottoman.
Avec ses pieds de vignes flétris, ses grenadiers et ses sites antiques, l'Haouran semble à des lieues des bouleversements politiques qui secouent la région.
Les dirigeants syriens assurent d'ailleurs que leur pays n'est pas concerné.
Mais le sort de Mekdad est comparable à celui des millions de Tunisiens, Egyptiens, Yéménites et autres populations arabes qui depuis deux mois sont venus, ou sur le point de venir, à bout de leurs régimes autoritaires.
Un niveau de vie qui se dégrade, une généralisation de la corruption et le sentiment de perdre leur dignité ont conduit les peuples arabes à secouer les régimes qui les opprimaient.
Les 20 millions de Syriens ne connaissent depuis près de 50 ans que le régime autoritaire du parti Baas, qui interdit de facto toute opposition et gouverne en vertu de l'état d'urgence.
Les dirigeants de Damas, qui se veulent les champions des droits de la nation arabe et des remparts contre ce qu'ils présentent comme l'"extrémisme islamiste", se prétendent "en phase avec le peuple"
Ils mettent en avant la libéralisation économique et sociale mise en oeuvre depuis que le président Bachar al Assad a succédé il y a 11 ans à son père Hafez, champion de l'étatisation en Syrie.
Mais le parallèle avec l'Egypte, où la libéralisation économique n'a pas permis de relever le niveau de vie des masses, est inévitable. Le PIB par tête d'habitant des deux pays est analogue: 2.500 dollars, le taux de chômage officiel est de 10%, voire plus du double en réalité en Syrie.
L'est de la Syrie connaît depuis cinq ans une crise sociale que les experts des Nations unies imputent à une mauvaise gestion des ressources hydrauliques qui a plongé 800.000 personnes dans un extrême dénuement.
Le Haouran, qui s'étend du sud de Damas à la Jordanie, a été moins touché. Mais Mekdad, qui vit avec sa mère, son épouse et ses huit enfants dans un deux-pièces ne peut plus compter sur l'agriculture pour arrondir ses maigres fins de mois.
Les quatre hectares où il cultivait jadis du blé ne sont plus rentables en raison de la sècheresse, qui devrait se prolonger cette année. Bien d'autres agriculteurs connaissent les mêmes problèmes, aggravés par une baisse des subventions.
Le ministère de l'Agriculture reconnaît que le rendement de la province agricole d'Al Darra, sur le Haouran, a chuté d'un quart l'an dernier.
Youssef Saleh dit avoir perdu 4.000 dollars l'année dernière en semant du blé sur ses 50 hectares. "La récolte a été si mauvaise que je l'ai vendue comme nourriture pour bétail."
Il souligne que creuser des puits reviendrait trop cher car il faudrait aller chercher l'eau à 1.000 mètres sous terre. Quant au fioul pour faire fonctionner les pompes hydrauliques, ses prix ont doublé depuis la réduction des subventions, il y a trois ans.
L'économiste syrien Samir Aïta estime que l'Etat devrait donner la priorité à des projets de développement mais préfère se concentrer sur des activités immédiatement rentables dans les affaires et l'immobilier, comme c'était le cas en Tunisie et en Egypte.
"Tout le monde veut imiter le "modèle de Dubaï" d'économie de marché et de boom immobilier, en oubliant que la population a besoin d'emplois et à qui la croissance devrait d'abord profiter", écrit Aïta sur le site internet Syria Comment.
Inquiet de possibles troubles sociaux malgré l'étroite mainmise de l'appareil de sécurité sur le pays, le gouvernement a réduit le mois dernier les taxes d'importation sur les denrées essentielles, dont les fruits, et a entrepris de verser des primes de 10 à 70 dollars à 420.000 foyers nécessiteux.
Abdallah Salmane, qui gagne l'équivalent de 150 dollars en tant que gardien de parking pour un société privé à Bousra, lorsqu'il n'en est pas réduit à mendier, a obtenu 70 dollars par mois. Le montant de son loyer est de 80 dollars.
"Je connais des gens, même dans mon propre clan, qui possèdent de belles maisons et qui ont reçu une aide. La corruption s'est généralisée", dit-il.
En dépit des difficultés de la vie quotidienne dans la Syrie profonde, rien n'indique que le pouvoir soit sur le point de perdre son emprise sur le pays. Des appels à manifester via internet n'ont abouti à rien et les arrestations d'opposants se sont au contraire multipliées.
Bachar al Assad, qui a accédé au pouvoir à l'âge de 34 ans, a affirmé fin janvier au Wall Street Journal que le Baas au pouvoir est "très étroitement en phase avec les sentiments du peuple" et qu'aucun mécontentement n'était perceptible qui nécessiterait un changement de ligne politique.
Il a assuré que son gouvernement avait commencé à "impliquer le peuple dans la prise de décision". "Nous avons encore un long chemin à parcourir, parce que c'est un processus (...) Pour être réaliste, il faudra attendre la prochaine génération pour que cette réforme soit en place."
Une des personnalités d'opposition consultée par le pouvoir le mois denier a déclaré avoir invité celui-ci à regarder ce qui s'était passé en Tunisie et en Egypte. "Il faut commencer à libérer les prisonniers politiques, permettre la liberté de la presse et d'expression, lever les lois d'exception et préparer des élections libres".
"Ils répondent invariablement que la Syrie doit maintenir sa stabilité et la cohésion nationale", a-t-il confié à Reuters.
Pour Saher Mansour, un Syrien de Bousra qui a mis de l'argent de côté en travaillant à Dubaï, "on ne peut continuer à réprimer une population comme cela. Ce n'est pas possible. Il ne manque plus qu'une étincelle."

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