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dimanche 7 décembre 2014

L'alliance des Médias avec les ONG et l'ONU corrompt l'information

Ce que les médias ne comprennent pas sur Israël

Les informations nous renseignent moins sur Israël que sur les gens qui les écrivent, affirme un 
ex-journaliste de l'Associated Press.
Un camion Reuters conduit à travers un camp de réfugiés à Gaza bombardée. (Yannis Behrakis / Reuters)


Cet été, pendant la guerre de Gaza, il est devenu clair que l'un des aspects les plus importants du conflit entre Juifs et Arabes, pourtant sursaturé par les médias  est aussi le moins couvert: la presse elle-même. La presse occidentale est devenue moins un observateur de ce conflit qu'un acteur actif, un rôle avec des conséquences pour les millions de gens qui essaient de comprendre les événements actuels, y compris les responsables politiques qui dépendent des récits journalistiques pour comprendre une région où ils essayent constamment d'intervenir de façon productive sans jamais y parvenir.

Un editorial que j'ai écrit pour Tablet Magazine sur ​​ce sujet a suscité un vif intérêt. 

Dans l'article, basé sur mon expérience en tant que journaliste et rédacteur en chef entre 2006 et 2011, dans le bureau de Jérusalem de l'Associated Press , l'une des plus grandes organisations de presse mondiales, j'ai souligné l'existence du problème et j'en ai discuté en termes généraux. En citant et comparant le nombre des journalistes par pays, j'ai illustré l'attention disproportionnée des médias consacrée à ce conflit par rapport à d'autres événements. Puis j'ai donné des exemples de décisions éditoriales qui semblaient être motivées par des considérations idéologiques plutôt que  journalistiques. J'ai suggéré que l'effet cumulatif avait été de créer une  histoire manifestement  trop simpliste, une sorte de théâtre de Guignol dans lequel les Juifs d'Israël représentent la faillite morale. C'est un mode de pensée qui a des racines profondes dans la civilisation occidentale.


Mais comment, précisément, ce modèle de pensée se manifeste-t'il dans le fonctionnement au jour le jour, ou du mauvais fonctionnement, de l'industrie de la presse? 

Pour répondre à cette question, je veux explorer  comment  la couverture par la presse occidentale est façonnée par des circonstances uniques, ici en Israël, et aussi par des défauts affectant les médias au-delà des frontières de ce conflit. Ce faisant, je m'appuierai sur mes propres expériences et celles de mes collègues. Elles sont évidemment limitées et pourtant, je crois, représentatives




Un rassemblement de soutien du Jihad islamique à l'Université modérée Al-Quds à Jérusalem-Est, en Novembre 2013 (Photo :  Matti Friedman)


Je vais commencer par une simple illustration. La photo ci-dessus provient d'un rassemblement d'étudiants qui a eu lieu Novembre dernier à l'Université Al-Quds, une institution palestinienne ordinaire de Jérusalem-Est. 
Le rassemblement pour le groupe armé fondamentaliste, le Jihad islamique, mettait en scène des acteurs interprétant des soldats israéliens morts et une rangée d'hommes masqués dont le salut bras tendu, a été imité par quelques-uns des centaines de spectateurs étudiants. Des rassemblements similaires ont eu lieu régulièrement à l'université.

Je n'utilise pas cette photo pour prouver que les Palestiniens sont des nazis. Les Palestiniens ne sont pas des nazis. Ils sont, comme les Israéliens, les êtres humains qui réagissent de façon parfois laide à un présent et un passé difficile. Je le rapporte pour une raison différente.

Un tel événement dans une institution comme l'Université Al-Quds, dirigée à l'époque par un professeur  bien connu, un modéré, et ayant des liens avec les institutions sœurs en Amérique, indique quelque chose sur les vents qui soufflent désormais dans la société palestinienne et dans le monde arabe. 

Le rassemblement est intéressant pour le lien visuel qu'il fait entre l'Islam radical ici et ailleurs dans la région; une image de ce genre pourrait aider à expliquer pourquoi de nombreux Israéliens craignent de manière parfaitement rationnelle de retirer leur armée de Jérusalem-Est ou de Cisjordanie [Judée et Samarie], même s'ils détestent l'occupation et souhaitent vivre en paix avec leurs voisins palestiniens. Les images de la manifestation ont été, comme les éditeurs photo aiment à le dire, «fortes». Le rassemblement avait, en d'autres termes, tous les éléments nécessaires à un article percutant et instructif.

L'événement a eu lieu à quelques minutes en voiture des maisons et des bureaux des centaines de journalistes internationaux qui sont basés à Jérusalem. Les journalistes étaient au courant de celui-ci: par exemple, dés le lendemain, le bureau de Jérusalem de l'importante agence de l'Associated Press (qui peut publier plusieurs articles en une journée lambda),  était en possession des photos de l'événement, y compris celle ci-dessus. (Les photographies ont été prises par quelqu'un que je connais qui était sur ​​le campus ce jour-là, et je les ai envoyés au bureau moi-même.) 

Les Éditeurs de Jérusalem ont décidé que les images et le rallye n'étaient pas dignes d'intérêt. La manifestation n'a été mentionné par l'AP que quelques semaines plus tard, lorsque le bureau de Boston de l'agence a indiqué que l'Université Brandeis avait coupé les liens avec Al-Qods à cause de l'incident. 
Le 6 Novembre 2013, le même jour où l'AP a décidé d'ignorer la manifestation, ce même bureau a publié un rapport au sujet de l'engagement du Département d'État des États-Unis d'augmenter un peu le financement de l'Autorité Palestinienne; cette info là avait été jugée digne d'intérêt. Voilà la norme. 

Pour donner une autre illustration, la construction de 100 appartements dans une colonie juive est toujours aux nouvelles; la contrebande de 100 roquettes vers Gaza par le Hamas n'est, à de rares exceptions prés, pas mentionnée du tout.






Je mentionne ces exemples des décisions prises régulièrement dans les bureaux de la presse étrangère couvrant Israël et les territoires palestiniens, pour montrer que le pipeline de l'information de ce lieu n'est pas seulement rouillé et qu'il fuit, ce qui est l'état habituel des affaires dans les médias, mais qu'il est de plus intentionnellement bouché.
Il ya des explications banales pour des problèmes avec les médias: les reporters travaillent à hâte, les éditeurs sont surchargés et distraits. Ce sont des réalités, elle peuvent expliquer des petites erreurs et des accidents comme ces manchettes mal conçues, c'est pourquoi ces détails ne me frappent généralement pas comme justifiant beaucoup d'analyses ni de valeur. 

Certains disent que les exagérations et omissions sont les résultats inévitables d'une tentative honnête de couvrir des événements dans un environnement journalistique difficile et parfois dangereux et initialement, c'est ce que j'avais cru moi même. Quelques années de travail ont changé mon analyse. Ces excuses ne peuvent pas expliquer pourquoi les mêmes exagérations et omissions se répètent encore et encore, pourquoi elles sont communs à tant d'organes de presse, et pourquoi cette simple «couverture d'Israël" par la presse internationale est si différente de ce que savent les gens au courant du contexte historique et régionale des événements dans ce lieu. L'explication est ailleurs.
* * *
Pour mieux cerner le journalisme international d'Israël, il est d'abord important de comprendre que ces articles et reportages nous informent plus sur les gens qui les ces articles qu'ils ne décrivent Israël. Les décisions journalistiques sont faites par des gens qui évoluent dans un milieu social particulier, un milieu qui, comme dans la plupart des groupes sociaux, implique une certaine uniformité d'attitude, de comportement, et même d'habillement (la mode ces jours-ci, pour les personnes intéressées, est moins aux gilets aux poches inutiles qu'aux chemises aux boutons inutiles). Ces gens se connaissent, se réunissent régulièrement, s'échangent des informations, et surveillent de près les articles des uns et des autres. Cela contribue à expliquer pourquoi un lecteur examinant des articles écrits le même jour par la demi-douzaine de grands fournisseurs d'information de la région, sera forcé de constater que si les articles sont écrits et édités par des personnes et des organisations complètement différentes, ils ont tendance à raconter la même histoire.






Le meilleur aperçu de l'un des principaux phénomènes en jeu nous arrive non pas d'un journaliste local, mais du journaliste et écrivain Philip Gourevitch.
Il a écrit en 2010 qu'il a été frappé par la zone éthique grise des liens entre les journalistes et les ONG au Rwanda et ailleurs en Afrique.

«Trop souvent, la presse représente les humanitaires avec une admiration inconditionnelle," at-il observé dans The New Yorker .  
-"Pourquoi ne pas chercher à les décrire honnêtement? 
-Pourquoi notre description devrait ressemblent tellement à leur propre auto-représentation dans les appels de collecte de fonds? 
-Pourquoi devrions-nous travailler (comme de nombreux photojournalistes et photo-reporters) pour des agences humanitaires entre deux emplois de journalisme, en les aidant dans leurs rapports officiels et leurs appels de fonds et à l'aide institutionnels, d'une manière que nous n'aurions jamais envisagés de faire pour des entreprises, des partis politiques ou des agences gouvernementales? "

Cette confusion des genres est très présente en Israël et dans les territoires palestiniens, où des activistes étrangers font partie du paysage, et où les ONG internationales et de nombreuses agences des Nations Unies sont parmi les acteurs les plus puissants, forts de milliards de dollars, employant des milliers d'employés étrangers et locaux. Leurs SUV dominent les quartiers de Jérusalem-Est et leurs dépenses maintiennent Ramallah à flot. Par les cercles sociaux ils fournissent aux journalistes des partenaires romantiques et des opportunités d'un autre emploi-un fait qui est d'autant plus important pour les journalistes aujourd'hui qu'il ne l'a jamais été, compte tenu de la désintégration de nombreux journaux et de la nature restreinte de leurs successeurs sur Internet.

Pendant mon travail dans l'industrie de la presse, j'ai compris que notre relation avec ces groupes n'était pas journalistique. Mes collègues et moi n'avons cherché ni à les analyser ni à les critiquer. Pour beaucoup de journalistes étrangers, ceux-ci ne étaient pas des sujets potentiels d'articles mais des sources et amis-dans un sens, des collègues d'une alliance informelle.

Cette alliance se compose des militants et de membres du personnel international de l'ONU et des ONG; le corps diplomatique occidental, en particulier à Jérusalem-Est; et les journalistes étrangers.
Il ya aussi une composante locale, composée d'un petit nombre de militants israéliens des droits de l'homme qui sont eux-mêmes en grande partie financés par les gouvernements européens et des palestiniens qui travaillent pour l'Autorité palestinienne, les ONG ou l'ONU.

 Les rencontres se font dans des endroits comme la jolie cour orientale de l'hôtel American Colony à Jérusalem-Est, ou lors de soirées organisées à la piscine sur le toit du consulat britannique. La caractéristique dominante de la quasi-totalité de ces personnes est leur présence éphémère. Ils arrivent de quelque part et ne font que passer tout en vivant dans une sous-culture particulière des expatriés avant de repartir ailleurs.





Un dégoût pour Israël est devenu quelque chose entre un préjugé acceptable et une condition préalable pour accéder dans ces cercles.  Je ne décris pas une approche critique de la politique israélienne ou envers le  gouvernement maladroit qui est actuellement aux affaires dans ce pays, mais la conviction que, dans une certaine mesure, les Juifs d'Israël symbolisent les tares du monde, en particulier le nationalisme, le militarisme, le colonialisme et le racisme.

Une idée qui est rapidement en train de devenir l'un des éléments centraux de l'esprit du temps «progressiste» de l'Ouest. Esprit qui s'étend de la gauche européenne des campus, des intellectuels universitaires américains, jusqu'aux journalistes. Dans ce groupe social, cette attitude se traduit dans les décisions éditoriales des journalistes et des éditeurs couvrant Israël, ce qui, à son tour, donne les moyens massifs d'auto-réplication à cette vision.  
* * *
Quiconque a voyagé à l'étranger comprend que d'arriver dans un nouveau pays est un défi, et c'est d'autant plus vrai lorsque vous êtes censé montrer une expertise immédiate. Je l'ai vécu moi-même en 2008, lorsque l'Associated Press m'a envoyé pour couvrir l'invasion russe de la Géorgie. Je me suis retrouvé 24 heures plus tard dans un convoi de véhicules militaires russes. J'ai dû admettre que non seulement je ne connaissais l'Histoire de la Géorgie, de la Russie, ou tout autre histoire connexe, mais de plus que je ne savais pas de quel côté était le nord, et que plus généralement je n'avais rien a faire là. Pour un journaliste dans une situation comme celle que je viens de décrire, la solution est de rester proche de collègues plus compétents et d'adhérer à la "sagesse commune".

Beaucoup de journalistes fraîchement arrivés en Israël, vivent une dérive similaire et se socialisent rapidement dans les cercles que j'ai décrit. Cela leur fournit non seulement des sources d'information et des amitiés mais aussi une perspective toute prête pour leurs articles-les outils pour réduire la chaîne complexe des événements en un récit simpliste, dans lequel il y a un méchant qui ne veut pas la paix et un gentil qui la veut. C'est «le reportage d'Israël," et il a l'avantage d'être une histoire facile à raconter. Tout le monde ici répond au téléphone cellulaire, et tout le monde sait quoi dire. Vous pouvez mettre vos enfants dans de bonnes écoles et dîner dans de bons restaurants. C'est bien si vous êtes gay. Vos chances d'être décapité sur YouTube sont minces. Presque toutes les informations dont vous avez besoin, c'est à dire, dans la plupart des cas, l'information critique d'Israël, est non seulement facilement accessible mais elle vous a déjà été rapportée par des journalistes israéliens ou transmise par les ONG. 

Sans aucun risque, vous pouvez vous enorgueillir de dire ses quatre vérités au pouvoir, en choisissant comme cible, l'unique «pouvoir» dans la région qui ne menace pas votre sécurité.

Beaucoup de journalistes étrangers en sont venus à se considérer comme faisant partie de cet univers des organisations internationales, en particulier, être sa branche médiatique. Ils ont décidé de ne pas "juste" décrire et expliquer, ce qui est déjà suffisamment difficile et important, mais «d'aider». Et c'est là que les journalistes ont des ennuis, parce que "aider" est toujours une entreprise trouble, subjective et politique, d'autant plus difficile si vous n'êtes pas familier avec les langues et l'histoire du lieu.

Cette confusion sur le rôle de la presse, explique t-il l'un des aspects les plus étranges de la couverture médiatique d'Israël, à savoir que tandis que les organisations internationales sont parmi les acteurs les plus puissants des événements dans la région, ils ne sont presque jamais mentionnés.
-Sont-elles pléthoriques, inefficaces ou corrompues?
-Est ce qu'elles améliorent la situation ou au contraire l'aggravent elles?
Nous ne le savons pas, parce que ces organisation qui sont souvent citées, ne sont ni scrutées ni décrites par les médias.

Les journalistes travaillent alternativement pour des médias comme la BBC et pour des ONG, comme Oxfam. L'actuel porte-parole de l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens à Gaza, par exemple, est un ancien journaliste de la BBC. Une femme palestinienne qui a participé à des manifestations contre Israël et qui a tweeté sa rage au sujet d'Israël, il y a quelques années était en même temps porte-parole pour une agence de l'ONU-et amie intime de quelques journalistes que je connais. Et ainsi de suite.




Un manifestant palestinien échappe à un lacrymogène tiré par les forces de sécurité israéliennes lors d'une manifestation en Cisjordanie [Judée et Samarie], près de Ramallah. (Darren Whiteside / Reuters)


Les organisations internationales dans les territoires palestiniens ont largement assumé un rôle d'avocats des Palestiniens et de procureurs d'Israël, et une grande partie de la presse a permis à ce rôle politique de supplanter leur fonction de journalistes. Cette situation explique le pourquoi des choix éditoriaux qui seraient autrement difficiles à comprendre, comme dans l'exemple que j'ai donné dans mon premier article sur la suppression par  le bureau de l'AP de Jérusalem, d'un reportage au sujet d'une offre de paix israélienne faite aux Palestiniens en 2008, ou de la décision d'ignorer la manifestation à l'Université Al-Quds, ou l'opinion que le développement de vastes travaux d'armement du Hamas  à Gaza au cours des dernières années ne méritait pas une couverture sérieuse alors que c'est objectivement l'une des informations des plus importants qui nécessite l'attention des journalistes.

Comme d'habitude, c'est Orwell qui l'avait décrit le premier. Voici sa description  du journalisme des écrivains, communistes et "les compagnons de route" en 1946 
"L'argument selon lequel, dire la vérité serait, 'inopportun', ou que ce serait, 'faire le jeu de quelqu'un', reste chez eux sans réplique, peu de gens sont gênés par la perspective que les mensonges qu'ils tolèrent irons des journaux dans les livres d'histoire."

Les informations que j'ai mentionnées seraient« inopportunes »pour les Palestiniens, et « joueraient dans les mains » des Israéliens . Et donc, selon cette perspective de l'industrie de la presse, ils ne sont généralement pas publiés.

Dans la foulée des trois semaines de la guerre de Gaza (de 2008-2009) , ne comprenant pas encore tout à fait la façon dont les choses fonctionnent, j'ai passé une semaine sur un article sur les ONG comme Human Rights Watch, dont les rapports sur Israël venait d'être l'objet d'une critique publique et inhabituelle par son propre fondateur, Robert Bernstein:
-"Le Moyen-Orient", a t-il écrit , "est peuplé par des régimes autoritaires avec d'effroyables bilans des droits de l'homme. Pourtant, au cours des dernières années Human Rights Watch a beaucoup plus condamné Israël pour les violations du droit international que tout autre pays de la région."

 Mon article était somme toute modéré, commençant comme ceci:
JERUSALEM (AP) _ La relation épineuse entre Israël et ses critiques des organisations des droits de l'homme, a dégénéré en une guerre de mots  sans précédent alors que continuent les retombées de l'offensive d'Israël à Gaza, dix mois après la fin des combats.
Les Rédacteurs ont tué l'article...


A la même époque, une ONG basée à Jérusalem, NGO Monitor , était aux prises avec les organisations internationales condamnant Israël après le conflit de Gaza. Bien que cette ONG était très pro-Israélienne et en aucun cas un observateur objectif, elle aurait pu offrir un certain contrepoint partisan dans nos articles aux accusations des ONG qu'Israël avait commis des «crimes de guerre». Mais les ordres explicites du Bureau des Reporters étaient de ne jamais citer cette ONG ni son directeur, un professeur né en Grande Bretagne qui a grandi aux USA, Gerald Steinberg. De toute ma période de travail pour l'Associated Press, couvrant de nombreux conflits, avec leurs innombrables fous, bigots, et tueurs, la seule personne interdite d'interview était ce professeur.

Quand l'ONU a publié son rapport controversé sur le conflit à Gaza, dit "le rapport Goldstone"  notre bureau (de l'Associated Press) a claironné ses conclusions dans des dizaines d'articles, alors même qu'il y avait débat, à cause de l'échec du rapport pour prouver sa charge centrale: qu'Israël avait intentionnellement tué des civils. Le directeur de la plus grande ONG des droits de l'homme Israélienne, B'Tselem, qui était critique de l'opération israélienne, m'a dit à l'époque que cette allégation était «douteuse compte tenu des faits," une évaluation qui a finalement été confirmée par Goldstone lui même , l'auteur du rapport:
"Si je avais su alors ce que je sais maintenant, le rapport Goldstone aurait été un document différent," a écrit Richard Goldstone  en Avril 2011 dans le Washington Post.
Nous avons compris que notre travail ne consistait pas dans un regard critique sur un rapport de l'ONU ni sur aucun document similaire, mais de les faire connaître au maximum.


Les décisions de ce genre sont difficiles à comprendre si vous croyez que le rôle des corps de la presse étrangère est d'expliquer une histoire compliquée aux gens qui en sont éloignés. Mais elles ont un sens si vous comprenez que les journalistes couvrant Israël et les territoires palestiniens ne voient souvent pas leur rôle de cette façon.

Le journaliste de radio et presse, Mark Lavie, qui a couvert la région depuis 1972 et qui  était un de mes collègues à l'AP, où il était éditeur dans le bureau de Jérusalem, puis au Caire jusqu'à sa retraite l'an dernier. (C'était Lavie qui a eu connaissance de l'offre de paix israélienne fin 2008, et qui a reçu l'ordre de ses supérieurs d'ignorer l'information.)

Israélien moderé né dans l'état de l'Indiana, il avait une longue carrière dans le journalisme qui comprenait plusieurs guerres et la première Intifada palestinienne, et qui trouvait peu de raisons de se plaindre du fonctionnement des médias.
Mais les choses ont changé pour de bon en 2000, avec l'effondrement des efforts de paix et le déclenchement de la deuxième Intifada. Israël a accepté le cadre de la paix du président Bill Clinton et les Palestiniens les ont rejeté, comme l'a dit clairement Clinton. Néanmoins, Lavie me l'a récemment dit, la ligne éditoriale du bureau était encore que le conflit était la faute d'Israël, et les Palestiniens et le monde arabe étaient irréprochables. À la fin de sa carrière, il était chargé d’éditer les dépêches sur Israël au bureau régional du Moyen-Orient de l'AP au Caire. Il essayait de rétablir l'équilibre et replacer dans le contexte des dépêches qu'il trouvait insuffisamment réalistes. Selon ses propres mots, initialement il était fier d'être un membre de la presse internationale. 
A la fin il avait honte d'être le "juif bouche trou".Il a écrit un livre, Broken Spring  (Printemps brisé ), une vision de première de la descente du Moyen-Orient dans le chaos, et se retira désabusé et en colère.





J'avais tendance à ne voir dans les défauts spécifiques que nous avons rencontrés à l'AP que les symptômes d'un schéma de pensée général dans la presse, mais Lavie a une position plus tranchée, il pense que l'influente organisation d'informations américaine est l'un des principaux auteurs de ce schéma de pensée . (Dans une déclaration , le porte-parole AP Paul Colford a rejeté ma critique comme des «distorsions, des demi-vérités et des inexactitudes," et a nié que l'AP a un parti pris contre Israël.) Ce n'est pas juste parce que des milliers de médias utilisent les dépêches de d'AP directement, mais aussi parce que quand les journalistes arrivent dans leurs bureaux le matin, la première chose que font beaucoup d'entre eux, est de vérifier le fil des depeches de l'AP (ou, de nos jours, dans leur flux Twitter). L'AP est comme Ringo Starr, battant loin à l'arrière de la scène: il pourrait y avoir des artistes flashy à l'avant, et vous ne le remarquerez pas toujours, mais quand Ringo s'arrête , tout le monde s'arrête.

Lavie croit que dans les dernières années de sa carrière, le fonctionnement de l'AP sur Israël a dérivé de son rôle traditionnel d'explications vers une sorte d'activisme politique qui a contribué à la fois et qui se nourrit de l'hostilité croissante à Israël dans le monde entier. "L'AP est extrêmement important, et quand l'AP changea de cap, il s'est avéré que beaucoup de monde l'a changé avec lui", a déclaré Lavie. "C'est quand c'est devenu plus difficile pour tout journaliste professionnel de travailler ici, juif ou pas. Je rejette l'idée que mon mécontentement avait à voir avec le fait d'être juif ou israélien. Ça avait à voir avec le fait d'être un journaliste ".
* * *
En décrivant les réalités des combats de la Seconde Guerre mondiale, le critique américain Paul Fussell a écrit que la presse a été censurée et qu'elle s'est censurée à un point tel que «pendant près de six ans, une grande partie de la réalité, peut-être un quart à un demi- avait été déclarée hors-limites, et le reste aseptisé et euphémisé a été présenté comme la totalité. "Au cours de la même guerre, les journalistes américains (principalement des magazines d'Henry Luce) ont été engagés dans ce que Fussell a appelé le Big China Hoax- le Grand Mensonge sur la Chine. C'est à dire que pendant des années l'information avait été biaisée pour dépeindre le régime vénal de Chiang Kai-shek comme un admirable allié de l'Occident contre le Japon. Chiang a été présenté six fois sur la couverture du Times , et la corruption et le dysfonctionnement de son gouvernement ont été soigneusement ignorées. Un Marine stationné en Chine a été tellement déçu par le fossé entre ce qu'il a vu et ce qu'il a lu que lors de sa libération, il a dit , "je suis passé à Newsweek . "

En d'autres termes, les hallucinations journalistiques, ont un précédent. Ils ont tendance à se produire, comme dans le cas du Big China Hoax, lorsque les journalistes n'ont pas la liberté d'écrire ce qu'ils voient, mais sont plutôt tenus de maintenir une «histoire» qui suit des lignes prévisibles. Pour la presse internationale, les caractéristiques plus laids de la politique et de la société palestiniennes sont pour la plupart tabous parce qu'ils perturberaient " l'info sur Israël", qui est une histoire de l'échec moral juif.

La plupart des consommateurs de cette "info" ne comprennent pas comment elle est fabriquée. Mais le Hamas si. Depuis qu'il a pris le pouvoir à Gaza en 2007, le Mouvement de résistance islamique a fini par comprendre que de nombreux journalistes ne livrent q'un récit dans lequel les Israéliens sont les oppresseurs  et les Palestiniens des victimes passives dont les objectifs sont raisonnables. Les informations contradictoires ne les intéressent pas. 

Sachant cela, certains porte-paroles du Hamas ont confié à des journalistes occidentaux, dont certains que je connais personnellement, que le groupe est en fait une secrètement pragmatique avec une rhétorique belliqueuse, et les journalistes-avides de le croire, et parfois réticents à créditer  les habitants avec l'intelligence nécessaires pour les tromper-l'ont pris comme un scoop au lieu d'une manipulation.

Pendant mon temps à l'AP, nous avons aidé le Hamas a médiatiser ce point de vue avec un courant journalistique qui pourrait être classé comme "des signes étonnants de modération» (un précurseur direct du "les Frères musulmans sont en fait des démocrates" qui a connu une brève vogue en Egypte). Dans un de mes reportages favoris, "le Hamas s'adoucit" (11 Décembre 2011), le journaliste a cité un porte-parole du Hamas pour informer les lecteurs que la politique du mouvement, est que "nous n'allons dicter quoi que ce soit à quiconque," et un autre dirigeant du Hamas, affirmant que le mouvement avait "appris qu'il doit être plus tolérant envers les autres." Vers la même époque, j'ai été informé par les rédacteurs en chef du Bureau que notre journaliste palestinien à Gaza ne pouvait pas écrire un article critique sur le Hamas parce que cela le mettrait en danger .

Le Hamas est aidé dans sa manipulation des médias par une sorte de réflexe, selon lequel les journalistes ne devraient pas mentionner l'existence de journalistes. Dans un conflit comme le nôtre, cela finit par exiger des efforts considérables: il y a tant de photographes aux manifs en Israël et dans les territoires palestiniens, que l'un des défis pour eux est de garder ses collègues hors du cadre. Que les autres photographes soient aussi importants pour l'information que les manifestants palestiniens ou que les soldats israéliens-cela ne semble pas être pris en considération.




Un combattant du Hamas dans un tunnel souterrain à Gaza en Août 2014, lors d'une tournée des journalistes de Reuters (Mohammed Salem / Reuters)


Dans la bande de Gaza, cela va d'un détail curieux de la psychologie de la presse à une carence majeure. La stratégie du Hamas est de provoquer une réponse d'Israël en attaquant derrière le bouclier de civils palestiniens, attirant ainsi une riposte israélienne qui tue des civils, puis d'avoir les victimes filmées par un des plus grands contingents de presse au monde, avec la certitude que l'indignation résultante à l'étranger émoussera la réponse d'Israël. C'est une stratégie impitoyable, et efficace. Elle repose sur la coopération des journalistes. Une des raisons est parce que ça marche du réflexe je l'ai mentionné. Si vous signalez que le Hamas a une stratégie basée sur la cooptation des médias, ça soulève plusieurs questions difficiles, comme, quelles sont exactement les relation entre les médias et le Hamas? Cette relation a-t-elle corrompu les médias? Il est plus facile de laisser les autres photographes hors du cadre et laisser l'image raconter l'histoire: Voici des personnes décédées, et c'est Israël qui les a tuées.

Lors des précédents rounds des combats à Gaza, le Hamas a appris que la couverture internationale du territoire pourrait être façonnée conformément à ses besoins, une leçon qu'il mettrait en oeuvre dans la guerre de cet été. La plupart des reportages à Gaza est faite par intermédiaires locaux, traducteurs et journalistes, des gens qui n'osent naturellement pas froisser le Hamas, ce qui rend encore plus rarement nécessaire pour le groupe de menacer un Occidental. Les Forces Armées de l'organisation pourraient disparaître des écrans. Le Hamas a confiance, la presse jouera son rôle dans le script du Hamas, au lieu de signaler qu'il y avait un tel script. Il n'y avait pas de stratégie du Hamas ou, comme diraient les journalistes, ce n'était pas de l'info. Il n'y avait aucune charte du Hamas accusant les Juifs de perfidie depuis des siècles, ou appelant à les assassiner; ce n'était pas l'info. Les roquettes tombent sur ​​les villes israéliennes sont tout à fait inoffensives; ils ne faisaient pas partie de l'info non plus.

Il  est plus facile de laisser les autres photographes hors du cadre et laisser l'image raconter l'histoire: Voici des personnes décédées, c'est Israël les a tuées.


Le Hamas a compris que les journalistes allaient non seulement accepter comme un fait les rapports du Hamas sur le nombre de morts civils-chiffres relayés par l'ONU, ou par ce qu'on appelle le «ministère de la Santé de Gaza," un bureau contrôlé par le Hamas-mais qu'ils mettraient ces chiffres au centre de la couverture médiatique. Le Hamas a compris que les journalistes pourraient être intimidés lorsque cela est nécessaire et qu'ils ne n'allaient pas le signaler; Les Organismes de presse occidentales ont tendance à ne pas voir d'impératif éthique à informer les lecteurs des restrictions qui façonnent leur couverture dans les Etats répressifs ou dans d'autres zones dangereuses. Dans la foulée de la guerre, il était évident que l'alliance ONG-ONU-médias allaient déchaîner les organes de la communauté internationale contre Israël, et laisserait tranquille l'organisation djihadiste.

Lorsque les dirigeants du Hamas ont évalué leurs forces avant la série de combats de cet été, ils savaient que, parmi elles figurait la presse internationale. Le personnel AP à Gaza allait assister au lancement d'une roquette juste à côté de leur bureau, mettant en danger les journalistes et d'autres civils à proximité et l'AP ne le signalera pas,  même dans des articles de l'AP au sujet des allégations israéliennes que le Hamas lance des roquettes à partir de zones résidentielles. (Ce qui est arrivé) Des combattants du Hamas auraient ont irruption dans le bureau de Gaza de l'AP et menacé le personnel et l'AP ne le signalera pas non plus. (C'est arrivé aussi)  Des cameraman attendant à  extérieur de l'hôpital Shifa dans la ville de Gaza filmeront l'arrivée de victimes civiles puis, au signal d'un fonctionnaire, éteindront leurs caméras lors de l'arrivée de combattants blessés et morts, aidant ainsi le Hamas à maintenir l'illusion que seuls mouraient des civils. (C'est ce qui s'est passé aussi; l'information provient de plusieurs sources ayant une connaissance de première main de ces incidents.)

Colford, le porte-parole AP, a confirmé que les militants armés sont entrés dans le bureau de Gaza de l'AP dés les premiers jours de la guerre pour se plaindre d'une photo montrant l'emplacement d'un lancement de roquette, mais il a dit que le Hamas a affirmé que les hommes "ne représentent pas le groupe . "L'AP" ne rapporte pas beaucoup d'interactions avec les milices, les armées, les voyous ou des gouvernements ", écrit-il. "Ces incidents font partie du défi de sortir les infos et ce défi n'est pas une info."

Cet été, alors que les Yézidis, les chrétiens et les Kurdes reculaient devant les forces de l'islam radical non loin d'ici, la branche locale de cette idéologie a lancé sa dernière guerre contre la dernière minorité prospère au Moyen-Orient. La presse occidentale, s'est présenté en masse pour le couvrir. Ce conflit avait inclus des barrages de roquettes partout en Israël et a été délibérément lancé derrière des civils palestiniens, dont beaucoup sont par la suite morts. Émoussés par des années de «l'info d'Israël» et habitués à leurs omissions routinières, confus sur le rôle qu'ils sont censés jouer, et cooptés, manipulés par le Hamas, les journalistes ont décrit cette guerre comme une attaque israélienne contre des personnes innocentes.

Ce faisant, ce groupe de professionnels intelligents et généralement bien intentionnés ont cessé d'être des observateurs fiables et sont devenus l'amplificateur de la propagande de l'une des forces les plus intolérants et agressives sur Terre. Et ça, comme on dit, c'est de l'info.

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